L'écriture solidaire

Depuis toujours la prise de parole des femmes est très mal vu en toutes circonstances. En effet, déjà en 1791, suite à la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne par Olympe de Gouges, le code civil écrit en 1804 "la femme doit obéissance à son mari". L’application du texte d’Olympe de Gouges est encore bien discutable aujourd'hui ...

La loi de 1804 n’est plus appliquée depuis longtemps, nous avons le droit et même le devoir d’être tout autant instruite que les hommes, nous sommes indépendantes financièrement et matériellement et il n’est pas anormal qu’une femme reste célibataire.

Mais malgré ces avancées notables, il reste des différences toutes aussi nombreuses.

Un Journal intime

Depuis des siècles, il n’est pas rare qu’une petite fille tienne un journal intime, qu’elle y écrive tous ses problèmes, ses doutes, ses peurs ou y invente un monde meilleur. Vous avez tous déjà dû voir dans les films pour ado un moment où le journal intime d’une jeune fille se retrouve public ? Pourquoi devrait-elle avoir honte de ses pensées ?

Dans King Kong Théorie, Virginie Despentes nous raconte sa vie de prostituée, ses pensées, ses raisons etc. Ce livre a fait énormément parlé à sa sortie, en bien comme en mal. Certains étaient offusqués de cette audace alors que d’autres étaient soulagés que quelqu’un l’ait enfin fait. Cet ouvrage est une sorte de journal intime de l’autrice, elle l’a juste rédigé dans un second temps.

Mais pourquoi est-ce toujours aussi mal vu qu’une femme couche sans but alors qu’un homme qui le fait est un dom Juan ? Peut-être est-ce parce que dans notre société, les femmes sont encore trop souvent reléguées au rang de mère et non de femme, alors qu’on peut observer l’effet inverse pour les hommes. C’est bien simple, pourquoi une mère au foyer serait normal et un père au foyer serait courageux ? 

C’est une question qu’Emma aborde dans son roman graphique Des princes pas si charmants. Sorti en 2019, ce livre a fait du bien aux petits comme aux grands. L’exemple simple du fait que les femmes ont souvent deux journées en une est assez parlant. Il y a d’abord la journée au travail, puis la seconde à la maison avec les tâches ménagères, s’occuper des enfants … Bien que l’accent soit mis depuis quelques années sur l’importance du partage des tâches, il y a encore beaucoup de couples où cela n’est pas le cas.

Des témoignages

En 2017, l’autrice avait commencé la série Un autre regard, un ouvrage plus général, où elle relate ses pensées au cours d’une année. Ce livre engagé traite aussi bien de l’accouchement que de violences policières racistes. Il permet à un grand nombre d’accéder et de réfléchir à ces problèmes sous un nouvel angle que celui qui nous est habituellement proposé par les médias. Cela libère donc tout autant l’autrice que les lectrices car chacune peut enfin se dire « je ne suis pas seule ». C’est aussi ce que fait Faustine Croquison, dans son recueil de poésie À ma recherche. Elle se rappelle le moment où elle s’est rendue compte de la sexualisation de son corps, mais aborde aussi le sujet de la fausse couche, encore très tabou à ce jour :

« Cela sort de mon corps en trombe.

Par vagues, mon petit habitant me quitte.

Je le laisse se décrocher de mon ventre pour

Rejoindre un autre flot.

Je regarde ce qui se trouve au fond de la cuvette,

Puis je tire la chasse. »

La fausse couche, l’accouchement, l’avortement ou la perte d’un enfant déjà né, sont tout autant de choses qui restent encore difficiles à aborder à l’oral. Alors pour que les petites filles puissent le voir assez tôt, pour que les femmes qui l’ont vécu n’aient plus honte, Faustine Croquison a cherché à exprimer ces sentiments.

Une autre poétesse s’est penchée sur ce sujet. Il s’agit de Magali Mougel, dans Guérillères ordinaires. Dans la première partie de ce recueil, l’écrivaine raconte la vie d’une mère qui a perdu trois de ses enfants après leur naissance. Elle les appelle « mes petits princes ». Ils sont conservés dans un congélateur, dans sa buanderie où personne ne vient jamais, ni ses plus grands enfants ni son mari. Souvent, elle berce les corps inanimés en leurs chantant une chanson. Cette femme finit par s’enterrer avec ses trois bébés et par tuer sa famille, de peur que son secret soit découvert. 

Hormis le côté morbide de cette histoire, le double sens est frappant. Personne n’a jamais appris comment vivre le deuil d’un enfant, c’est quelque chose d’horrible. Cette mère, a donc décidé de faire comme s’ils n’étaient pas morts et préfère vivre dans cette illusion. Elle s’est arrêtée de vivre. Mais est-ce que si elle en avait parlé à son mari cela l’aurait aidé ? Nous ne le saurons jamais.

L’écriture moderne

Le mouvement #MeToo lancé sur les réseaux sociaux en 2018 a poussé des femmes à témoigner des violences sexistes et sexuelles qu’elles ont trop longtemps subi et gardé sous silence. Depuis cinq ans, ce mouvement n’a jamais cessé, et les témoignages sont de plus en plus développés. Que ce soit des faits récents ou des faits proscrits, cela soulage les victimes d’écrire « oui cela m’est arrivé, ça m’a traumatisé, vous n’êtes pas seules ».

C’est d’ailleurs ce qu’a fait Eve Ensler dans Les monologues du vagin, pièce de théâtre datant de 1998, encore jouée en 2023. Son principe est simple : interroger plus de deux cents femmes à propos de leur vagin.

Ainsi, la parole s’est libérée, mais toutes ces femmes qui écrivent sur internet, qui écrivent des romans, des autobiographies ou encore des bandes-dessinées ont un point en commun : la solidarité. Alors que dans l’espace public, que ce soit lors de manifestations, de débats ou tout simplement par le simple fait d’exister, la peur des hommes règnent encore bien trop en maître. 

La solution ? Ecrire. Pour beaucoup, cela agit comme une délivrance, un moment personnel où elles peuvent enfin être libres. Et pour celles qui n’arrivent pas à l’écrire, elles lisent, et cela fait aussi beaucoup de bien.

La lecture, est bien souvent considérée comme un passe-temps féminin car les femmes ont soi-disant moins besoin de bouger que les hommes. Mais n’est-ce pas plutôt parce que nous avons toujours encouragé l’un comme l’autre à se conforter dans ce rôle ? Les hommes peignent pendant que les femmes posent, les hommes travaillent pendant que les femmes éduquent, les femmes sont la douceur incarnée, comment pourraient-elles se défendre. Un point de vue que défendent Laure Adler et Stefan Bollmann dans Les femmes qui lisent sont dangereuses. L’écriture et la lecture vient les libérer de ce carcan, elle permet aux femmes de transmettre les idées qui les traversent, de s’identifier, de se sentir moins seules, moins étranges, et de se dire que ses pensées, manières de vivre et ressenti sont tout ce qu’il y est de plus humain.

Dans la troisième partie de Guérillères ordinaires de Magali Mougel déjà abordé plus haut, la grossophobie est montrée. Comment par des petites phrases insidieuses une remarque sur un corps peut perturber son esprit à jamais. Dans cette histoire, le patron de Léda Burdy, une jeune agente d’accueil, lui affirme qu’elle fait un excellent travail mais qu’elle doit passer d’une taille 42 à 34 pour garder son poste. Elle correspondrait ainsi beaucoup mieux à l’image de l’établissement. Cela détruit la jeune femme et la pousse à se sous-alimenter. Après un long périple, elle finit par se suicider, car elle ne s’en sort plus. L’anorexie, la boulimie ou l’hyperplasie boulimique sont des sujets encore difficiles à aborder dans notre société valorisant la minceur à l’extrême. La parole s’ouvre peu à peu, notamment avec des ouvrages comme ce dernier ou encore par le mouvement Body positive sur les réseaux sociaux. Il y a encore un long chemin à faire.

Mais quels sont les risques de trop lire ? Flaubert en avait déjà parlé dans Madame Bovary, mais ce sentiment a ressurgi récemment. Le bovarysme, se dit de quelqu’un qui est toujours insatisfait de la vie réelle et se réfugie dans les livres. Beaucoup de lectrices préfèrent le monde utopique au monde réel. Ce n’est pas pour rien que l’on parle des « bookboyfriends », les petits amis de livres. Des femmes (surtout des adolescentes et jeunes adultes) sont réellement attirés par un personnage et chercheront à trouver ses qualités chez un homme réel. Cela est bien souvent impossible et une perte de temps.

L’écriture et la lecture présentent donc quelques risques, car à force de trop s’éloigner de la réalité, elle peut paraître fade. Mais elle a permis à travers les siècles une libération des femmes et a engendré une grande solidarité. Sans ces ouvrages, la course pour l’équité des genres, n’en serait sûrement pas là aujourd’hui.

Alice Pernette

L'influence de l'écriture sur l'équité des genres

Par alice pernette

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