Cela fait des années maintenant que le sujet de la féminisation de la langue française fait débat. Que ce soit au sein des institutions ou au coeur des familles, cette question divise. Et si on revenait à ses débuts ? Je veux dire avant sa masculinisation ?
La question a été réglée dès l’école primaire : le masculin l’emporte toujours sur le féminin. « Même s’il y a un seul garçon ? » s’étonnent les enfants, « oui, ils l’emportent toujours ». Sans plus d’explications, cela fait partie de ces choses que l’on n’explique pas aux enfants, car bien souvent les adultes n’en savent pas la réponse eux-même.
Dans le Manuel de grammaire non sexiste et inclusif de Michaël Lessard et Suzanne Zaccour, il est expliqué que pourtant, jusqu’au 17ème siècle, les phrases étaient accordées au sujet le plus proche. C’est-à-dire qu’on pouvait aussi bien dire les femmes et les hommes sont intelligents, que les hommes et les femmes sont intelligentes. La raison de la suppression de cette règle est très simple : les intellectuels de l’époque considéraient les femmes inférieures aux hommes. Elles devaient donc aussi l’être dans le langage. Ils firent plusieurs modifications de ce type comme la suppression de certains noms de métiers ou encore de certains mots (tel que citoyenne). La femme appartenait soit à son père, soit à son mari jusqu’au 13 juillet 1965. Ce jour-là, une loi est promulguée pour l’émancipation des femmes mariées. Elles ont désormais le droit d’ouvrir un compte en banque et de travailler sans l’aval de leur mari et sans que ce dernier puisse s’y opposer.
Quelques années après, comme nous l’explique Chloé Delaume dans son ouvrage Mes biens chères soeurs sorti en 2019, Yvette Roudy, ministre des droits de la femme fonde une commission chargée de féminiser les noms de métiers, les grades et les titres. Créée en 1984 et présidée par Benoîte Groult, elle ne fut pas bien accueillie et beaucoup la vire comme une atteinte à la langue française. Le problème est que beaucoup de français sont très fiers de leur langue, mais que très peu en connaissent la véritable origine. En effet, comme évoqué en amont, avant le 17ème siècle, la langue de Molière était bien plus inclusive et cela ne la rendait pas moins compréhensive. Comme l’évoque l’autrice, tout ceci n’est qu’une question d’habitude.
DANS LES RÈGLES DE L’ART
On peut lire sur le site du gouvernement, le ministère de la culture, affirmer que la « féminisation de la langue française est plus une question de pratique que de transformation ». Un peu plus loin, on peut voir : « la parité est un défi que la langue française est en mesure de relever. Elle ne repose ni sur la transformation du lexique - les substantifs féminins ne manquent pas - ni sur la grammaire, mais essentiellement sur l’usage. Notre langue offre assez de ressources pour accorder aux femmes, à l’écrit comme à l’oral, autant de visibilité et d’égards qu’aux hommes. » Plus bas, il recommande notamment l’usage des mots épicènes, qui sont identiques dans les deux genres. Cette écriture est aussi recommandée par le Manuel de grammaire non sexiste et inclusive que nous avons évoqué plus haut. Enfin, l’Institut national de la langue française a édité en 1999, un ouvrage qui rassemble les noms de métiers féminisés, les fonctions, grades, ou encore les règles de féminisation de ces noms. Dans cet ouvrage accessible gratuitement, préface de Lionel Jospin, il est expliqué qu’il suffit de trouver les suffixes appropriés. En latin, c’était de cette manière que l’on distinguait systématiquement le féminin du masculin.
Certes cela demande de faire quelques efforts au départ, mais une fois les règles acquises, le champs des possibles s’ouvre à nous. Alors est-ce qu’au-delà du problème de supériorité masculine qui a rendu les pronoms masculins génériques, l’être humain serait routinier ? Il est parfois difficile pour certaines personnes de changer leurs habitudes, d’autant plus quand on vous répète cette dernière depuis tout petit. L’orthographe et la grammaire ont été et sont encore un calvaire pour de nombreux élèves. Alors une fois adulte, heureux d’avoir acquis les bases, l’on vient nous expliquer qu’il faut encore en apprendre et la faire évoluer. Bien que les humains doivent et sont toujours en pleine évolution, on peut comprendre que cela chagrine …
Mais si on réfléchissait autrement : imaginez grandir dans un monde où vous avez toujours eu l’impression d’être en retrait, d’être relégué au second plan. Et bien c’est ce que vivent et ressentent les femmes la plupart du temps. Leur chemin de guérison passe par des petites choses comme les suffragettes, le mouvement #MeToo ou encore l’écriture inclusive. Tous les moyens sont bons pour se sentir vivante.
Mais revenons un petit peu en arrière. En 1881, la loi Ferry rend l’instruction laïque, gratuite et obligatoire pour toutes et tous. À partir de là, les enfants se retrouvent dans des écoles différentes, et il faudra attendre quelques années avant les écoles mixtes. Cette date marque un tournant dans l’émancipation des femmes. Elles peuvent désormais bénéficier de la même éducation que les hommes et donc prétendre à des emplois mieux rémunérés. Peu après, la guerre leurs a prouvé qu’elles étaient tout à fait capable d’exercer des « métiers d’hommes ». En pleine naissance des suffragettes (apparues en 1903), la révolution s’accentue.
UN PROBLÈME INTERGÉNÉRATIONNEL
Encore aujourd’hui, de nombreuses problématiques ne sont pas réglées. Souligné dans Journalisme de combat pour l’égalité des sexes d’Isabelle Germain, dans un article à la une du Parisien datant de mai 2017 « Vanessa remplace Léa chez Ruquier ». Thomas Vampouille (rédacteur en chef adjoint de Marianne2.fr, avait fait remarquer « Pas de couilles, pas de nom de famille ». Les journalistes n’échappent donc pas au sexisme ordinaire.
Au niveau du vocabulaire, depuis 2021, le terme féminicide est enfin entré dans le dictionnaire. Une nouvelle qui en ravit plus d’un ! Selon Larousse, c’est le « meurtre d’une femme, ou d’une jeune fille, en raison de son appartenance au sexe féminin. Crime sexiste, le féminicide n’est pas reconnu en tant que tel par le Code pénal français. ».
Mais alors une autre question vient en tête : faut-il réécrire les textes anciens trop genrés au masculin pour les adapter à cette nouvelle manière de penser ? Le magazine Causette laisse la place au débat à ce sujet. Dans le magazine de juin 2023 s’opposent les arguments d’Anna Toumazodd, « écrivaine et militante féministe », et d’Antoine Spire, « journaliste, écrivain et président du Pen Club français ». La première assure qu’« On pourrait crier à la censure si des oeuvres étaient interdites, là, il ne s’agit pas de cela. Il s’agit seulement d’enlever des mots oppressifs qui font vraiment du mal à certaines personnes. », ce à quoi l’écrivain répond que « ces corrections nous empêchent de comprendre l’esprit du texte tel que ce dernier a été pensé voulu et écrit par l’auteur ». Il suggère de rajouter une préface pour contextualiser, et elle suggère de réécrire pour forger la jeunesse qui a grand besoin de lire des textes inclusifs. Et vous alors ? Quelle solution vous parait la plus juste ?
Alice Pernette